PRINCE – Purple Rain

Écrit par sur 14 octobre 2017

En 1984, Prince n’était pas exactement le
perdreau de l’année… Il avait derrière lui
cinq albums sortis depuis ses débuts en 1978.
Encensé depuis ses premiers pas par une
presse justement impressionnée, il avait su
imposer sa vision étrange, assez différente du
funk de ces années-là. Contrairement aux
Rick James, Zapp et autres Earth, Wind &
Fire, le gars Nelson avait défouraillé un funk
minimaliste et electro qui faisait sonner son
groupe plus comme un Suicide funky que
comme le énième héritier du P-Funk (que par
ailleurs, il aimait, ce qui est encore mieux).
En 1980 et en 1981, avec “Dirty Mind” et
“Controversy”, il était arrivé au sommet de
ce genre qu’il avait inventé. Sur scène, c’était
une tornade, mais l’homme devait également
se montrer grand compositeur, ce que tout le monde réalisa lorsqu’arriva en 1982 la bombe “1999”, avec des merveilles comme le morceau donnant son titre à l’album, mais aussi “Little Red Corvette” ou « Delirious”.
En cette même année sortait “Thriller” de Michael Jackson déversant son tombereau de tubes et envahissant la planète. Son disque était bien fait et conçu pour conquérir la galaxie, ce qu’il fit, mais tout cela sonnait bien trop propre et lisse pour réellement passionner les mélomanes vraiment exigeants.
Chez Prince, c’était tout autre chose : il y avait chez lui quelque chose d’artisanal, de bricolé, mais aussi de viscéralement profond. Normal, Prince était avant tout un musicien, plus Stevie Wonder que Michael Jackson, qui, lui, ne faisait pas grand-chose d’autre que chanter et danser (ce que Prince savait très bien faire aussi). Jouant de toutes sortes d’instruments, capable de faire des balances de quatre heures avant de jouer un concert de trois puis d’aller continuer tout ça dans une autre salle ou d’enquiller sur des heures de studio, il était, vraiment, un musicien renouant avec la grande tradition des grands héros noirs des années 70 (Wonder, Curtis, etc.). Les rockeurs intelligents l’adoraient. Paul Westerberg raconte que lorsqu’il habitait à Minneapolis aux premières heures des Replacements, rien ne le faisait plus frissonner
qu’aller voir le petit homme sur scène. Tout était donc bien préparé pour la suite : avec “Purple Rain”, Prince élargissait encore plus sa palette et lorgnait vers la pop et le rock, sans oublier ce funk nerveux
et minimaliste qui avait fait son succès. En 1984, donc, une fois avoir — difficilement — accepté la laideur spectaculaire de la pochette (sans parler de ceux qui poussèrent la dévotion jusqu’à aller voir en salle l’infâme navet accompagnant le disque), le jeune qui posait le vinyle de “Purple Rain” sur sa platine se prenait une véritable orgie dans la face. Ce qui frappe, en réécoutant aujourd’hui le disque pour la première fois depuis des lustres (l’engin ressort dans une très belle version comprenant l’original remasterisé à Paisley Park en 2015, ainsi qu’un live féroce en DVD, un disque de singles et raretés, et un autre d’inédits provenant des mêmes séances), c’est sa jovialité. Un ouragan de joie embarque tout le monde dès les premières notes de “Let’s Go Crazy”, qui enchaîne avec le fabuleux “Take Me With You” (peut-être le plus grand morceau de l’album), lequel en dit long, dans toute sa perfection, sur l’état
d’esprit d’un Prince qui avait alors pleinement confiance en lui et savait que le monde allait bientôt lui manger dans la main. Sur “The Beautiful Ones”, il chante comme un dieu, puis arrivent “Computer Blue”, l’extravagant “Darling Nikki”, “When Doves Cry” (sans basse) et l’extraordinaire “I Would Die 4 U”, autre merveille notable de l’album et funk monstrueux. “Baby I’m A Star” enfonce le clou et perpétue la bonne humeur globale, avant qu’on arrive aux choses qui fâchent : l’épouvantable “Purple Rain”, assemblage de live et de studio, forçant vraiment trop lourdement sur la pédale mélodramatique
(pleurnichages, cris en tous genres, guitare flangée, etc.), restera pour beaucoup comme l’une des plus terribles scies de cette première moitié des années 80. Que reste-t-il de l’album aujourd’hui ? Prince avait des goûts de maquereau (voir la pochette) et aimait tout ce qui brillait. D’où des sons de guitare parfois atroces et dignes de Van Halen, des boîtes à rythme terribles et des synthés proxo. Le tout fait un peu qatari. Mais bizarrement, ce qui, chez d’autres, deviendrait intolérable plus de trente ans plus
tard, ne gâche en rien les qualités du disque. C’est même très surprenant, comme si l’artiste était le seul de son époque à pouvoir survivre aux gadgets sonores de son temps. Ce n’est pas le moindre de ses talents.

NICOLAS UNGEMUTH

Rock & Folk


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